La suite... - Caroline T

J'ai rencontré Caroline T à l'âge de deux ans. A la rentrée en maternelle en fait. Je n'ai pas trop de souvenirs de cette époque là, même si je pense que je devais déjà bien m'entendre avec elle.

C'est en primaire que nous sommes devenus "meilleurs amis". Pas toutes les années parce que nous n'avons pas toujours été dans la même classe. Ceci dit, dès que nous nous retrouvions, l'amitié renaissait rapidement.

Lorsque nous sommes passés au collège, nos liens se sont renforcés. D'abord, nous ne connaissions pas grand monde, ce qui fait que nous restions assez souvent ensemble. Nous passions notre temps ensemble. Le soir en rentrant, j'allais chez elle ou elle venait chez moi. Depuis la fin de la primaire, elle avait des difficultés en classe. Du coup, je l'aidais à faire nos devoirs ou à réviser.
Je garde de bons souvenirs de cette période. Même si certaines personnes nous ont rendus la vie dure à l'époque, notre amitié était vraiment géniale.
J'étais aussi un brin amoureux de son frère. Il était mignon, très mignon, et musclé. D'ailleurs, il était un peu frimeur sur les bords du coup il n'hésitait pas à tomber la chemise pour me montrer ses nouveaux muscles, à mon plus grand plaisir.
Caroline était à l'époque un peu fofolle, et nous nous amusions beaucoup. Elle avait le rire facile. Elle m'a appris à aller vers les autres. A mon entrée au collège, il est clair que sans elle je n'aurais pas noué beaucoup d'amitiés. J'étais très timide. Elle beaucoup moins. Elle ne se prenait pas la tête, tentait d'aller vers les gens. Si ça marchait tant mieux, sinon tant pis. Et la plupart du temps ça marchait. J'ai appris à être comme elle quand il le faut. Même si c'est moins naturel chez moi, elle m'a appris à ne pas avoir systématiquement peur de l'autre.

En cinquième, coming-out.
C'était un samedi soir, une fois de plus je passais la soirée et la nuit chez elle. A l'époque, elle était fan de Neve Campbell et achetais des magasines dans lesquels on pouvait commander des posters de star. Je me souviens que nous étions en train de regarder les affiches et qu'elle me montre une affiche de Neve en me disant "tu trouves pas qu'elle est super belle?" et moi qui lui réponds en lui montrant Marc Walberg "je préfère celui-là".
Elle m'a demandé si j'étais sérieux et je lui ai répondu que des fois je craquais sur des garçons. Elle m'a répondu qu'il lui arrivait de craquer pour des filles. Voilà, nous nous étions dit la vérité. En fait, au début de la soirée, pour ne pas choquer l'autre, chacun avait déclaré qu'il était bi. Mais à la fin de la soirée, rassurés, nous avions dit la vérité.

A partir de là, nous nous sommes encore plus rapprochés vu que nous étions les seuls homos du collège.
Je craquais pour Kévin, elle craquait pour Juliette (une fille superbe).
Du coup, nous passions notre temps à décortiquer les faits et gestes des deux en essayant de trouver la preuve de leur homosexualité. Bien sûr, nous n'en avons jamais trouvé, et pourtant quelques années plus tard les deux ont avoué avoir eu des fantasmes homo à l'époque. Dommage...

Sauf qu'il y avait une autre Caroline. Une Caroline qui n'a pas voulu partager une chose avec moi.
A l'époque, vers la quatrième, elle a commencé à fréquenter le milieu homo. Elle qui n'était pas vraiment heureuse à l'époque, est tombée amoureuse d'une fille avec qui elle est sortie. Elle a dit à sa mère qu'elle était lesbienne mais lui a fait promettre de ne rien dire à son père qui était limite coincé là-dessus. Bien sûr, la maman s'est empressée de trahir sa promesse. Du coup, la vie pour Caroline a commencé à être un peu plus tendue chez elle. Et là-dessus, sa petite amie s'est... suicidée. Sans explications.
Caroline ne m'a raconté tout ça que des années plus tard. A l'époque des faits, elle a fait une dépression sans que personne ne sache pourquoi. Elle nous parlait de suicide. Elle était au fond du trou. Et personne ne pouvait l'aider parce que personne ne savait.

Elle a cherché du réconfort là où elle l'avait trouvé la première fois. Dans le milieu homo.
Fin de troisième, tout le monde passe au lycée sauf elle. Caroline dit qu'elle va mieux. Elle se fait percer la langue, couper les cheveux en pics et les colore comme le Rainbow Flag. Elle prends du poids.
C'est à cette époque que tout se mets à déconner pour elle. Pour soulager son mal-être, elle sort de plus en plus dans le milieu, fait de mauvaises rencontres et devient alcoolique (oui, en fin de troisième).

A ce moment là, nos chemins se séparent. Je ne la vois plus, elle est au collège où elle s'est fait de nouveaux amis, moi je suis au lycée où je fais de même. Les moments où elle n'est pas au collège, elle les passe dans des bars ou dans des boîtes, avec ses amis du milieu. Les mauvais amis du milieu malheureusement.
Et pourtant, un an en arrière, nous sommes partis en vacances ensemble. Fabuleux souvenir. Ses parents étaient cool quand j'étais là, nous avons pris des fous rires fantastiques, nous passions des matinées tranquilles, allongés sur le lit de la chambre, dans les landes, à écouter notre Mylène Farmer adorée, et feuilletant des magasines idiots. L'après-midi, nous allions nous baigner et faire les cons dans les rouleaux.

Et quelques mois plus tard, elle avait tant changé.
Se rendant compte qu'elle devenait alcoolique, Caroline a voulu s'en sortir. Mais le seul moyen pour ne pas boire qu'elle avait trouvé, c'était de fumer du shit. Elle y est devenue accroc. Elle a de nouveau raté sa troisième. Pendant un an, elle a vécu chez elle à faire du baby-sitting et à sortir le soir. Je pense qu'elle ne voulait pas s'arrêter une minute, sinon elle se serait rendu compte que sa vie partait en vrille.
A la fin de l'année, ses parents lui ont fait comprendre que si elle ne faisait rien, elle dégageait.
Sa mère a fait une tentative de suicide cette année là. Entre un mari qui délaisse sa famille, un fils qui ne la respecte pas et une fille qui n'a aucun avenir et qui passe son temps à fumer, je comprends qu'elle ait pu en avoir marre, surtout que je ne sais pas tout le reste. Je comprends même si ça n'excuse pas forcément le geste.

L'année d'après, Caroline trouve quelque chose qui lui plaît. Un CAP de décoration. A cette époque, nous avons déjà repris contact. Caroline n'est plus comme avant. J'ai toujours plaisir à la voir mais elle ne sait plus s'amuser sans joint, elle qui riait d'un rien avant. Elle paraît blasée.
Elle a, à ce moment là j'en suis sûr, une chance de s'en sortir. Elle trouve un patron et commence l'alternance. Mais elle continue de sortir avec les mauvaises personnes. Et touche à d'autres choses.
Plus tard dans l'année, je passe chez elle un soir. Nous parlons, et elle me dit qu'elle sniff de l'héroïne, ce qu'elle fait d'ailleurs devant moi. Je ne sais alors pas quoi dire. Comment ma petite Caroline a pu en arriver là? Je lui dit que ce qu'elle fait est dangereux. Elle me sourit et me dit qu'elle connait ses limites. Bien sûr!

Encore un peu plus tard, au téléphone, elle m'invite chez elle avec Kévin. Elle sniff et fume pendant toute la soirée.
A la fin de l'année dernière, je passe chez elle, elle veut me voir. Cela fait quelques temps que je n'ai plus de nouvelles. Elle me fait rentrer, et là commence à me donner des nouvelles. Elle est passé à la vitesse supérieure, maintenant elle se pique. Elle est héroïnomane. Elle me dit que la came l'empêche d'aller bosser. Son patron ne connait pas la vraie raison, elle lui ment en disant qu'elle a un problème d'anémie. Elle me raconte qu'elle se lève tard tous les jours. Qu'elle ne bouge même plus de son lit. Elle marche à l'héro toute la journée. Et en parallèle, elle suit un traitement à la méthadone...

Tout en me parlant, elle se fait un fix. et se pique. Je vous jure, on a beau en avoir entendu parler, l'avoir vu à la télé... Quand c'est votre meilleure amie d'enfance, celle avec qui vous avez partagé tant de choses, celle qui avait toujours les mêmes délires que vous, ça retourne le coeur. J'avais envie de vomir. Tout en parlant, elle pleure. Elle a fait une tentative de suicide deux mois plus tôt. Elle me dit qu'elle cherche une cure de désintoxication.

Deux mois plus tard, elle me dit qu'elle en a trouvé une, de six mois. Elle part, et j'éspère de toutes mes forces que ça marchera, même si je me dis qu'à Lyon elle aura du mal à tenir, en partant du principe qu'elle reviendra clean.
Sauf que ça n'a pas marché. Caroline s'est fait viré de sa cure pour avoir fumé du shit.
D'après elle, les week-end ils étaient autorisés à sortir et ils pouvaient faire ce qu'ils voulaient. Se bourrer la gueule. Acheter du shit.

Une semaine après son retour, elle a repris l'héroïne. Tous les soirs je vois la fenêtre de sa chambre allumée, dans l'immeuble d'en face. Et je n'ose pas l'appeler. Parce que j'ai peur de sa réaction quand je lui dirais que j'ai fini mes études et que je cherche du travail alors qu'elle n'a aucun diplôme et qu'elle est prisonnière d'une drogue qu'elle a volontairement touché.
Parce que sa vie n'a pas été facile, qu'elle a eut son lot de merde et que je peux comprendre qu'elle en soit arrivée là.

(Cette photo date du voyage de fin d'année de troisième. Juste avant qu'elle ne bascule définitivement...)

Ma meilleure amie d'enfance, Caroline T (20 ans), est héroïnomane. Elle va certainement en crever. Et ça me crève le coeur de ne rien pouvoir faire.

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Pour ton ami

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