Vous vous souvenez l’année passée de l’histoire des vélos? Du portable italien ? Et bien, dans la série « mon père ce héros » j’en ai une autre sous le coude, et celle là est plutôt récente.

Mon père adore préparer les sorties au resto. Quand mes parents invitent quelqu’un pour sortir, mon père passe toujours des heures sur internet pour trouver des restos sympas, il coupe et recoupe les infos qu’il trouve pour trouver LE resto un peu original, sympa et pas (trop) cher. C’est lui qui se charge de regarder comment y aller, qui fait la réservation, bref il s’occupe de tout.

Il y a environ un an, les (futurs) beaux-parents de mon frère sont venus dans le coin et mes parents ont donc tout naturellement proposé de faire un resto tous ensemble. Les parents de (future) belle-sœur ont accepté et mon père s’est donc mis à chercher le resto idoine. Compliqué, parce qu’il faut savoir que les parents de (future) belle-sœur ont tendance à être difficile niveau bouffe. D’abord, ils ont un appétit équivalent à celui d’un moineau. La première fois qu’ils sont venus boire l’apéritif chez mes parents, ils n’ont touchés qu’aux petits fours du début et n’ont rien mangé en rentrant chez eux. Ca leur suffisait. Mais depuis, ils sont plus ou moins devenus végétariens. Pas par conviction mais simplement parce que la maman n’aime pas la viande au goût et que comme c’est elle qui fait à manger, aucun des deux ne mange plus de viande. Des légumes, des légumes, des légumes.

Sachant tout cela, mon père décide donc de trouver un resto qui allie les deux : petite quantité et légumes. Il consulte plusieurs sites internet, trouve un resto, Les Jardins de Gertrude (houla ! ne pas confondre avec Les Boudins de Gertrude juste en dessous !) et fait sa réservation. Il note l’adresse sur un coin de son calepin, indique l’heure de rendez-vous chez nous aux parents de (future) belle-sœur et tout ce petit monde se prépare à aller au resto.

Malheureusement pour moi, je n’étais pas là ce soir là. Vous n’imaginez pas à quel point je le regrette tant j’ai ris lorsqu’on m’a raconté ce qui suit.

L’heure du rendez-vous arrive, les parents de (future) belle-sœur arrivent – ma mère ne sert pas d’apéritif, elle a retenue la leçon – et mon père explique que ce soir, c’est restaurant spécialisé dans les salades. Les deux (futurs) beaux-parents de mon frère sont aux anges, (future) belle sœur rigole, l’ambiance est détendue. Plus pour longtemps.

Arrivés au resto, mon père se dirige vers l’entrée :

-Bonjour, une table pour six pour monsieur Franfine.
La serveuse le regarde d’un air bizarre et hausse les épaules.
-Suivez-moi monsieur Franfine.

Tout le monde est installé et les cartes arrivent. Stupeur. Silence de mort. Incompréhension. Sur la carte, aucune salade, pas le moindre petit bout de verdure, rien de rien. Ah si, les escargots qui en mangent de la salade, ils y sont eux. Mais en persillade. L’ambiance se refroidit instantanément. (Future) belle-mère de mon frère demande candidement :
-Ne nous aviez-vous pas dit qu’il y aurait des salades ?
Mon père ne comprend pas. Mon frère sent la grosse bourde de mon père à plein nez. Il ne sait pas encore ce qui se passe, mais il sent qu’il y a une couille dans le potage. Finalement mon père appelle la serveuse.

-Excusez-moi mademoiselle mais qu’est-ce que c’est que cette carte ? Nous voulions de la salade.
-Pardon monsieur ? De la salade ?
-Mais oui, nous ne voulons pas de cette compoté de foie gras arrosé au calvados ou de ces pommes de terres cuites dans de la graisse d’oie ! De la salade, c’est ça que nous voulons.
La serveuse bredouille.
-Mais mais, je je, bien, je vais demander en cuisine.

Et elle repart. Autour de la table, plus personne n’ose se regarder. Croyez-moi, si j’avais été là je crois que j’aurais eu un fou rire. Les imaginer tous comme ça, les (futurs) beaux-parents qui ne mangent que des légumes devant une telle carte, mon père qui s’énerve sans comprendre, mon frère et sa copine qui tentent d’adoucir les angles…

C’est le chef en personne qui sort des cuisines et qui se dirige vers la table de mes parents.
-C’est vous qui voulez de la salade monsieur ?
-Oui c’est nous. Ce n’est pas pour manger tout ça que nous sommes venus, nous voulons juste de la salade. C’est quand même votre spécialité non ?
-Mais monsieur, qu’avez-vous contre ma cuisine ? Elle n’est pas bonne ? De la salade ? Mais monsieur j’ai été élève de Marc F. moi, jamais on ne s’est plaint de ma cuisine ! Jamais !
-Mais enfin, la spécialité des Jardins de Gertrude, c’est quand même la salade non ?
-Les Jardins de Gertrude ? Mais monsieur, vous êtes aux Boudins de Gertrude ici !

Mon frère et sa copine ont bien essayé de détendre l’atmosphère, mais rien n’y a fait. Mon père est resté tout penaud toute la soirée, les parents de copine de mon frère n’ont pris qu’une entrée (que la maman a eut un mal fou à digérer). Mais quand le lendemain ils m’ont raconté ça, moi j’en ai pleuré de rire.

Chercher un resto pour faire plaisir à tout le monde : des heures et des heures.
Trouver un endroit pas compliqué pour le rendez-vous : un casse-tête.
Réussir à se planter, faire manger de la viande à des végétariens, vexer à mort un grand chef cuisinier : ça n’a pas de prix.

Mon père, ce héros.