Certaines personnes sont naturellement stressées. Il faut toujours qu’elles soient en action, en train de bouger et de penser à milles choses à la fois.

Mon père par exemple, ne sait pas rester tranquille. Lorsqu’il travaille, il se lève dès 6h du matin en étant  réveillé à 5h30. A peine a-t-il posé le pied par terre qu’il se met en action. Rapide passage à la salle de bain, quelques vêtements sur lui, le voilà dehors pour passer à la boulangerie et acheter du pain. A son retour, et même si j’insiste pour qu’il ne le fasse pas, il installe tout ce qu’il faut pour mon petit-déjeuner. Ensuite, il se met aux fourneaux pour préparer quelque chose à manger à mon frère et sa copine, 24 ans et 22 ans respectivement… A 7h10 il part pour sa journée de travail.

Il revient le soir aux alentours de 18h30 et prépare à manger pour tout le monde lorsqu’il ne va pas faire des courses avant. Après une heure de préparation, nous passons à table. Ensuite, il recommence sa course folle et commence à préparer tout ce qu’il lui faut pour le lendemain. En règle général, il se met devant la télé vers 21h30 – 22h et la regarde même s’il s’endort devant. Il refuse de se coucher tout de suite. Enfin, vers 23h il retourne se coucher.

Bien entendu, il en rajoute toujours beaucoup dans la journée, une visite à sa mère par ci, un passage chez un oncle par là… Il n’arrête pas.

En vacances, c’est un peu mieux, mais pas de beaucoup. Mon père ne sait pas faire la grasse matinée. A 8h au plus tard, il est réveillé. Je me le suis toujours représenté ainsi : dormant profondément la minute avant, parfaitement réveillé celle d’après. Et mon père s’ennuie très vite s’il ne fait rien. Jardinage, cuisine, réparations, courses, bricolage, il ne tiens pas en place.

Cette vie à 100 à l’heure lui procure pas mal de stress.

Je fais tout pour ne pas être comme ça. A tel point que parfois, mon père et ma mère (qui est stressée comme mon père bien que faisant moins de choses) ne comprennent absolument pas quand je leur dis quelque chose.

Il y a quelques années de ça, je suis parti en Italie avec mes parents et mon frère. Nous y sommes partis deux années d’affilé et à dire vrai, je ne me souviens pas s’il s’agit de la première ou la deuxième fois. Toujours est-il que j’en garde de bons souvenirs, dont un notamment qui nous a tous marqué et qui ressort régulièrement dans les repas de famille.

Ce jour là, nous visitions Florence pour la énième fois. Pour mon plus grand plaisir d’ailleurs. J’ai eu beau passer des dizaines de fois sur la Piazza delle Signoria, devant le dôme flanqué du Campanile, je ne me suis jamais lassé d’y retourner. Mon frère en revanche en avait largement soupé et n’était pas venu avec nous cette fois.

Pour nous déplacer, nous utilisions principalement les bus vieillissants de la ville. C’est à cette époque que je me suis mis à porter des pantacourts, qui ressemblaient à l’époque plus à des bagguys. Jambes larges, poches larges, taille tombante.

Afin de rejoindre je ne sais quel endroit, nous montons donc dans un bus et allons nous asseoir au fond. Tout extasié que je suis par ce que je vois autour de moi, je ne sens absolument pas mon téléphone portable glisser lentement hors d’une de ces nombreuses poches béante de mon pantacourt. C’est ainsi que mon portable continue gaiment son voyage lorsque mes parents et moi descendons à notre arrêt. Une ou deux minutes passent, et je me fais la réflexion que mon pantacourt est plus léger (à l’époque, j’avais encore un frigo dans la poche. Croyez-moi, on le sentait quand on ne l’avait plus). Plongeant la main dans ma poche, je me rends alors compte que le téléphone a disparu.

Je m’arrête de marcher. Bon voilà, j’ai perdu mon portable, ça m’embête énormément mais après tout, il n’y a pas mort d’homme.

-J’ai oublié mon portable dans le bus, dis-je à mes parents.

Ces derniers se retournent et me regardent incrédule. Je suis d’un calme olympien, et j’ai du dire ça d’un air tout à fait détaché. Je ne vois pas de raison de paniquer. Rassurés, mes parents se remettent à marcher. Le petit dernier a voulu faire une blague, mais il est mauvais acteur.

-Heu... J’ai vraiment oublié mon portable dans le bus.

Mon père s’arrête, le sourcil froncé. Il commence à comprendre que je ne plaisante pas.

-Tu quoi ?

-Mon portable. Il a du glisser de ma poche, il est resté dans le bus.

-ET TU NOUS DIS CA COMME CA TOI ?!

-Bin quoi, je vais pas me mettre à pleurer non plus, je l’ai oublié, voilà. Tu voudrais que je me mette à hurler de panique ?

-BIN JE SAIS PAS MAIS ENFIN MERDE TU NOUS DIS CA COMME SI TU DISAIS « IL FAIT BEAU AUJOURD’HUI ».

-Oui bon alors voilà, je précise, j’ai oublié mon portable dans le bus, et je dis la vérité, je ne plaisante pas.

Et tout à coup, mon père n’est plus là. Il se met à courir comme un dératé derrière le bus qui apparaît déjà loin, loin, très loin. Ma mère et moi le perdons de vue. Au bout d’un moment, ne le voyant pas revenir, nous nous installons à la terrasse d’un café pour siroter un soda.

-De toutes façons, ton portable il est bien en évidence sur le siège j’imagine ? me fait ma mère.

-Bin ouais…

-Bon, bin…

Au même moment, mon père court, court, comme un fou. Bon sang, un portable quand même ! A force d’efforts, et grâce à certains feux bien placés, mon père arrive à gagner du terrain. Et rattrape presque le bus. Le T-shirt trempé de sueur, il fait de grands signes en espérant que le chauffeur le verra dans le rétroviseur. Malheureusement pour lui, ce n’est pas le cas.